Il y a environ six millions d'années, à la fin du Miocène, la mer Méditerranée a connu une période d'assèchement rapide, pour se transformer progressivement en géant salifère. Cette crise de salinité messinienne, d'une durée de 630 000 ans, est le résultat de la fermeture progressive du détroit de Gibraltar, reliant le bassin méditerranéen et l’océan Atlantique, suite à des mouvements de la croûte terrestre. Toutefois, les conditions géologiques, climatiques et biologiques ayant favorisé la formation de ce Géant Salifère de Méditerranée, qui contient plus d'un million de km3 d’évaporites, demeurent mal comprises.
Le gypse, un des minéraux évaporitiques formés lors de cet épisode géologique extrême, est un sel hydraté constitué de calcium, de sulfate et de deux molécules d’eau. L’étude de la composition isotopique de ces dernières s'avère particulièrement intéressante pour comprendre les conditions hydrologiques dans lesquelles le gypse s'est formé. En outre, les minuscules gouttes d’eau, appelées inclusions fluides, qui ont été capturées à l’intérieur de ce minéral lors de sa précipitation constituent de véritables archives de l’eau.
Tandis que le gypse se forme habituellement par évaporation à partir d’eaux extrêmement salées (environ 110 g/kg d’eau), l’étude des inclusions fluides et de la composition isotopique du gypse messinien révèle qu’il s'est constitué à partir d’eaux aux salinités similaires à celle de l’eau de mer actuelle (en moyenne 35 g/kg). La formation de ce gypse très peu salin est ainsi l’une des nombreuses énigmes soumises par le Géant Salifère de Méditerranée.
Dans une nouvelle étude, une équipe menée par des chercheurs de l'IPGP a combiné des mesures isotopiques de l’eau du gypse et de la salinité des inclusions fluides avec celles du strontium et de l’ion sulfate, des éléments permettant de tracer l’origine des masses d’eaux ayant participé à la formation du gypse. Les scientifiques ont ensuite modélisé l’évolution de ces traceurs hydrologiques lors de l’évaporation d'un mélange d’eau de mer et d'eau de rivières en différentes proportions.
Succession de processus biogéochimiques responsables de la formation de « gypse peu salin ». Le processus bactérien clé, celui de formation de sulfate (SO42-) par oxydation de soufre élémentaire (S°), est catalysé par des bactérie sulfo-oxydantes dans la saison aride ("Maximum precession, Arid season") lors d’évènements de mélange verticale de la colonne d’eau. (Aloisi et al., 2022)
Les données mesurées ne vérifiant aucune des hypothèses émises, l'équipe propose un nouveau scénario : la précipitation du gypse messinien faiblement salin a pu être catalysée par l’activité de bactéries capables d'oxyder le soufre. En effet, des fossiles bactériens de ce type ont été observés dans tous les dépôts gypseux caractérisés par ces faibles salinités. Cette catalyse biologique aurait ainsi conduit à la production de sulfate, un processus à même de favoriser la formation de gypse sans augmenter la concentration des ions - notamment le chlorure, le sodium, le magnésium et le potassium – qui contribuent majoritairement à la salinité.
Si ce scénario biologique était confirmé, il élargirait la gamme des environnements qui favorisent le dépôt de gypse marin et impliquerait également l'existence d'un couplage biologique supplémentaire entre les cycles du calcium, du soufre et du carbone.
Ref : Aloisi G., Guibourdenche L., Natalicchio M., Caruso A., Haffert L., El Kilany A., Dela Pierre F., The geochemical riddle of “low-salinity gypsum” deposits, Geochimica et Cosmochimica Acta, Vol. 327, 2022, P. 247-275, DOI: 10.1016/j.gca.2022.03.033