Évaluation de l’effet d’île sur la biogéochimie marine et les assemblages phytoplanctoniques dans deux systèmes insulaires tropicaux contrastés
12/12/2025
IPGP - Îlot Cuvier
09:30
Soutenances de thèses
Amphithéâtre
Emma Moreau
Biogéochimie environnementale (BGE)
Les îles tropicales constituent des hotspots de biodiversité alors qu’elles sont situées dans les gyres océaniques oligotrophes caractérisés par de faibles concentrations en chlorophylle-a et une faible production primaire. Cet effet d’île peut s’expliquer par de forts apports insulaires en sels nutritifs, en particulier en nitrate, et en micronutriments comme le fer, principaux éléments limitants de la croissance phytoplanctonique dans les gyres oligotrophes. Cet effet, détecté par satellites mais encore peu caractérisé par une approche intégrée d’observations de terrain, peut être spécifique à chaque système insulaire.
Dans ce cadre, nous avons étudié deux systèmes insulaires contrastés : Basse-Terre en Guadeloupe, qui constitue un modèle d’île volcanique, et Grande-Terre en Nouvelle-Calédonie caractérisée par ses sols latéritiques, riches en nickel et son vaste lagon. Pour identifier et quantifier les sources et les flux en nutriments depuis ces îles ainsi que leurs impacts sur la biomasse et les assemblages phytoplanctoniques, nous nous sommes appuyées sur des campagnes de terrain en rivières et en mer (en saisons sèche et humide en Guadeloupe et froide en Nouvelle-Calédonie) et des expérimentations biotiques et abiotiques en laboratoire.
Dans ces deux systèmes, les apports lithologiques (Si, Fe, Ni) et les activités anthropiques (NO₃⁻, PO43-) drainés par les rivières constituent une source majeure de macro- et micro-nutriments aux eaux côtières. En Guadeloupe, l’étude d’une série temporelle de douze ans a révélé une variabilité saisonnière de ces apports avec un maximum observé durant la saison humide et après les épisodes cycloniques. Expérimentalement, nous avons montré que les sédiments côtiers constitueraient également une source de macro- (Si) et micro-nutriments, bénéficiant à différentes classes de taille du phytoplancton selon l’origine sédimentaire. Nos expérimentations ont aussi révélé le rôle clé du Ni présent dans les sols ultramafiques de Nouvelle-Calédonie sur la croissance, la fixation de N₂ et la synthèse protéique d’espèces modèles phytoplanctoniques. Des apports supplémentaires liés à l’hydrothermalisme terrestre en Guadeloupe, aux dépôts atmosphériques naturels ou anthropiques et à des sources biogéniques ont également été quantifiés dans ces deux systèmes. L’intensité et la variété de ces sources ont montré des variations spatiales et temporelles, conduisant à des enrichissements côtiers et localisés. Ces distributions ont façonné la répartition de la biomasse et des assemblages phytoplanctoniques : les plus fortes concentrations en chlorophylle-a avec la prédominance du microphytoplancton sont observées localement à la côte où les apports sont les plus élevés, alors qu’au large où l’export en nutriments est limité par la circulation océanique, les concentrations en biomasse sont les plus faibles et le picophytoplancton domine, caractéristiques des environnements oligotrophes -excepté au large des passes de Nouvelle-Calédonie où les apports des bassins versants ultramafiques sont transportés.
En résumé, nos travaux ont montré que l’intensité et l’étendue spatiale des effets d’île détectés dans ces systèmes émergent de la conjonction des sources en nutriments, du régime des précipitations et de la circulation océanique, alors que la stœchiométrie des macronutriments et des métaux traces module la composition des assemblages phytoplanctoniques. Ils apportent une contribution essentielle à l’étude in situ de l’effet d’île et des processus qui le gouvernent, en permettant de mieux comprendre ses variations et sa sensibilité dans un contexte de changement climatique.
Mots-clés : Effet d’île, phytoplancton, métaux traces, macronutriments, biogéochimie, Guadeloupe, Nouvelle-Calédonie