Bien que la physique se construit,
habituellement, sur la notion de grandeur physique (physical quantity), la notion, plus basique, de qualité physique mesurable
(measurable physical quality) est fondamentale. Un exemple simple: derrière
les grandeurs température , paramètre thermodynamique
, température logarithmique
ou
température au cube
, il existe une notion qualitative, la
notion chaud-froid. Les différentes grandeurs
,
,
ou
sont des coordonnées possibles dans l'espace
(1-D) représentant la qualité chaud-froid. Un exemple moins trivial est
la qualité milieu élastique idéal, corespondant à un espace
avec 21 dimensions: les 21 composantes du tenseur de rigidité
, ou les 21 composantes du tenseur souplesse
(inverse du tenseur de rigidité)
, ou les 6 valeurs
propres et les 15 angles propres de l'un ou de l'autre, etc.
En soi, cette remarque est triviale, et correspond au point de vue d'Aristote
(qui parle explicitement de la qualité chaud-froid). Ce n'est qu'après
Galilée que les physiciens ont commencé à privilégier la notion de
grandeur. Un résultat non trivial, démontré dans ce travail, est que
pour chaque qualité physique il existe une notion intrinsèque de
distance, et qu'elle est unique (satisfaisant à certaines conditions
naturelles d'invariance). Par exemple, deux points dans l'espace chaud-froid
peuvent être caractérisés par leurs températures
et
, les températures inverses
et
, etc.
La distance entre des deux points est
. On voit que cette distance n'est pas reliée de
manière simple à la différence de températures.
Autre exemple, la distance entre deux solides élastiques idéaux,
caractérisés, par exemple, par leurs tenseurs de rigidité
et
, est la norme du logarithme (tensoriel) de
.
Lorsqu'on a introduit, dans un espace abstrait, une notion de distance, on peut
se poser certaines questions. Par
exemple: l'espace est-il plat ? On a pu démontrer que beaucoup des espaces
dits `tensoriels' ne sont pas plats (ils ont une courbure que l'on peut
calculer). Par exemple, en théorie de la déformation d'un milieu continu,
on introduit la contrainte et la déformation (strain)
. Tandis que le tenseur de contraintes est un
élément d'un espace linéaire (il est un tenseur au sens habituel du mot),
le `tenseur' de déformation appartient à un espace qui a une courbure. Ce
n'est que pour les petites déformations que l'on retrouve l'espace tensoriel
habituel. Cela a d'importantes implications physiques, évoquées plus loin.
Ces `tenseurs' qui n'en sont pas, sont ici baptisés tenseurs
géodésiques ou géotenseurs. La théorie des espaces
linéaires (vectoriels et tensoriels) doit être redéveloppée pour
contenir ces nouveaux objets. Du point de vue mathématique, les espaces
géotensoriels ressemblent assez aux espaces tensoriels habituels, excepté
que la somme de deux géotenseurs n'est, en général, pas commutative
(excepté si les géotenseurs sont `petits'). Cela n'est pas qu'une
abstraction mathématique, c'est la formalisation de propriétés par
ailleurs bien connues (par exemple, la `composition' de deux déformations
et
ne commute pas, excepté si les deux
déformations sont petites [ou si elles ont les mêmes axes principaux]).
La théorie des espaces `géotensoriels' est en cours de construction.
Des notions aussi habituelles que celle de base, de norme, correspondent
à ces concepts nouveaux. Ces espaces ne sont pas seulement des espaces avec
courbure, ils ont aussi une torsion, mais nous ne développerons pas ici ce
point. On propose d'appeller une théorie physique intrinsèque si
elle est formulable, non pas en termes de grandeurs physiques particulières,
mais en termes de qualités physiques mesurables et des distances
associées à ces qualités. Certaines des théories physiques habituelles
sont, de ce point de vue, intrinsèques. D'autres ne le sont pas
(théorie de la déformation, théorie du transport de la chaleur de
Fourier, etc.). Ces théories sont alors considérées comme
mathématiquement inconsistantes, et on se propose de les reformuler.
Un outil mathématique de base est la
dérivée d'une grandeur physique par rapport à une autre
grandeur. Elle est définie, suivant Newton et Leibniz, comme la limite d'un
quotient de différences. Mais la différence de deux valeurs d'une grandeur
physique est peu intéressante, si l'on considère qu'il existe une notion
de distance, et qu'elle ne correspond generalement pas à la différence.
Ainsi, On se propose de remplacer la notion de dérivée par celle de
déclinée, définie ici comme la limite d'un quotient de distances
entre points (et non pas de différences de valeurs de ces grandeurs). Cela ouvre
le champ du calcul `distanciel' (par opposition à `différentiel'). Les
notions d'aplication linéaire tangente, de divergence, etc. sont remplacées
par des notions intrinsèques.
Comme exemple, prenons un corps solide que tourne autour d'un point.
A chaque instant , l'orientation du corps dans l'espace peut
être décrite par un vecteur de rotation
(par rapport à une origine
arbitraire).
Soit
le vecteur vitesse de rotation
instantanée. Les livres expliquent bien que
n'est pas la dérivée
temporelle de
, et donnent une définition ad-hoc de
. Dans notre théorie,
est la déclinée
et non la dérivée temporelle de
. Cela montre
que l'on abuse d'une définition (celle de dérivée) qui n'a, somme toute,
qu'assez peu d'intérêt.
Un des objectifs de ce travail est de reécrire la théorie du calcul
différentiel, pour la convertir en une théorie du calcul `distanciel'.
Beaucoup de propriétés habituelles tombent (par exemple, la déclinée
d'une somme n'est pas forcément égale à la somme des déclinées).
Associée à cette nouvelle théorie de calcul distanciel, il y a,
bien entendu, une théorie du calcul `intégral' où les intégrales ne sont
plus vues comme des limites de sommes habituelles mais comme des limites de
sommes pas forcément commutatives. Les théories physiques intrinsèques
-mentionnées plus haut- doivent être des théories contenant des
déclinées, pas des dérivées (excepté les rares cas où les deux
notions coincident). Il y a une différence fondamentale entre dérivée et
déclinée: tandis que l'on dérive une grandeur par rapport à une autre
grandeur, on décline une qualité par rapport à une autre qualité.
Ainsi, on ne décline pas la température par rapport à une coordonée, mais
on décline la qualité `chaud-froid' par rapport à la qualité `position
spatiale'. Pour faire le calcul lui-même, on peut chosir de représenter la
qualité chaud-froid par la température, ou la temperature inverse, etc.,
mais le résultat du calcul (la déclinée) est indépendant de ce choix.
C'est dans ce sens que l'on peut formuler les équations physiques de
manière intrinsèque. Ainsi, si le calcul tensoriel a été
développé pour faire que les équations soient indépendantes de
tout choix de coordonées spatiales (ou spatio-temporelles), la théorie
développée dans ce travail vise à rendre les équations indépendantes
de tout choix de grandeur physique que l'on peut utiliser pour représenter une
qualité physique mesurable (i.e., un nouvel étage à la notion de calcul
intrinsèque).