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Les premiers pas de la météo du noyau terrestre

Pourquoi l’intensité du champ magnétique Terrestre a-t-elle décru de 10% entre 1840 et nos jours? L’anomalie sud-Atlantique de ce champ, au dessus de laquelle le matériel embarqué dans les satellites subit le plus grand nombre d’avaries, va-t-elle encore se creuser dans le siècle à venir? Quand se produira la prochaine inversion des pôles magnétiques? La modélisation opérationnelle de la géodynamo vise à répondre à ces questions, et livre ces jours-ci de premiers éléments au travers de deux articles publiés dans les revues Nature communications et Geophysical Journal International.

Les premiers pas de la météo du noyau terrestre

Date de publication : 27/01/2016

Presse, Recherche

Le champ magnétique de la Terre interagit fortement avec les activités technologiques humaines. Parmi les domaines où la connaissance des variations spatiales et temporelles de ce champ est importante, on peut citer le fonctionnement des satellites de basse altitude, la détermination du cap dans les applications de navigation telles que celles embarquées dans les téléphones intelligents, la géophysique d’exploration, ainsi que la protection des infrastructures électriques de grande échelle. Pour donner un exemple concret, on sait par exemple que le taux d’occurrence des pannes sur les satellites augmente fortement quand ceux-ci se trouvent dans une zone de faible intensité magnétique connue sous le nom d’anomalie de l’Atlantique sud. Ceci est tout à fait attendu puisque le champ magnétique Terrestre protège moins bien notre planète contre les particules chargées du vent solaire dans cette zone.

Comment expliquer et prédire les variations du champ magnétique Terrestre? Ce champ trouve sa source dans le lent refroidissement de l’intérieur de notre planète, qui crée des mouvements de convection dans le noyau, une boule de fer liquide située 2900 kilomètres sous nos pieds. Dans un tel fluide conducteur d’électricité, les mouvements engendrent un effet dynamo, qui convertit une fraction de l’énergie libérée par le refroidissement en énergie électromagnétique. Les simulations informatiques de cette géodynamo se sont fortement développées depuis une vingtaine d’années, et ont permis de mieux comprendre les fondamentaux de ce mécanisme. Ces simulations sont maintenant suffisamment avancées pour reproduire l’essentiel des caractéristiques de grande échelle et les variations centennales du champ magnétique.

Partant de cet état de l’art, la question de la prédiction peut se traiter en s’inspirant de techniques d’assimilation de données, qui ont principalement été développées en météorologie et en océanographie au cours des dernières décennies. Le principe de l’assimilation de données est d’orienter l’évolution du système simulé par les calculs informatiques en y injectant des observations. Depuis quelques années (voir A. Fournier et coll., 2010, référence ci-dessous), des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris, et de l’Institut des Sciences de la Terre (Grenoble) travaillent au développement de l’assimilation de données géomagnétiques, avec le soutien de leurs structures, du CNRS/INSU, du CNES, de GENCI et de l’Agence Nationale de la Recherche. En collaboration avec un chercheur de l’Institut National de l’Espace danois (DTU Space, Copenhague), des représentants de ce groupe livrent ces jours-ci des résultats opérationnels de cette modélisation de la géodynamo. Ce travail exploite les données de la mission Swarm de l’Agence Spatiale Européenne, une constellation de trois satellites de mesure géomagnétique lancés à la fin de l’année 2013, dont le CEA-Leti (Grenoble), l’IPGP et le CNES ont, pour la France, activement participé à la conception.

À gauche : visualisation de la structure dynamique interne du noyau, estimée à partir des observations de surface et du comportement d’un modèle informatique de la géodynamo. Les structures tourbillonnaires de l’écoulement sont représentées en rouge et bleu. Le champ magnétique interne est représenté en orange et violet, ainsi que par des lignes de champ dans le volume qui sont tordues par l’écoulement. À droite : carte (centrée sur l’Atlantique) de l’écoulement de grande échelle à la surface du noyau, qui s’organise comme un grand tapis roulant provoquant une dérive vers l’Ouest intense dans l’hémisphère Atlantique.

Une des forces de l’assimilation de données est qu’elle permet d’estimer la dynamique interne du noyau à partir des observations de surface, en s’aidant des statistiques (fournies par le modèle informatique) qui caractérisent cette dynamique. Cette approche révèle la présence d’un grand tourbillon à la surface du noyau, qui, à la manière d’un tapis roulant, transporte en permanence le champ magnétique des pôles vers l’équateur au niveau de l’Asie, et de l’équateur vers les pôles au niveau de l’Amérique. Si le champ magnétique n’était pas si dissymétrique entres les hémisphères Est et Ouest, son intensité resterait stable dans le temps. Cependant, la présence de l’anomalie de faible intensité dans l’Atlantique Sud déséquilibre ce mécanisme, de sorte qu’il y a un manque de champ magnétique retournant aux pôles, et donc une décroissance du dipôle, qui constitue l’essentiel du champ visible en surface. C’est la raison pour laquelle son intensité a décru depuis les premières mesures absolues réalisées par K. F. Gauss en 1840.

La question de la décroissance du champ magnétique Terrestre est donc intimement liée à la position respective du tourbillon et de l’anomalie dans l’Atlantique Sud. Les simulations par assimilation de données prédisent que ceux-ci resteront liés l’un à l’autre dans le siècle à venir. Sous l’effet de la forte dérive latérale que le tourbillon crée dans les régions équatoriales de l’Atlantique, l’anomalie et le tourbillon lui-même devraient aussi être poussés d’environ 3000 kilomètres vers l’Ouest (à la surface de la Terre) dans les 100 prochaines années. Ce déplacement ne changera cependant pas le mécanisme décrit ci-dessus, et la décroissance du dipôle magnétique devrait donc se poursuivre au même rythme dans le prochain siècle. L’anomalie de l’Atlantique sud se creusera aussi de manière significative, ce qui élargira la zone problématique pour le vol des satellites.

Animation des courbes d’intensité du champ magnétique à la surface de la Terre (micro-teslas), à partir de 2015 et jusqu’à 2115 dans le cadre d’une prédiction par assimilation de données géomagnétique. L’anomalie de l’Atlantique Sud est représentée par les lignes en bleu sombre. L’assimilation prédit un creusement significatif de cette anomalie, ainsi qu’une dérive vers l’Ouest de son centre.

Évolution de l’intensité du dipôle géomagnétique (micro-teslas) au cours des 175 dernières années, et prédiction pour le siècle à venir, avec sa marge d’incertitude.

Peut-on prévoir le comportement du champ magnétique Terrestre à plus long terme, et en particulier prédire la prochaine inversion des pôles? De telles inversions se produisent à un rythme chaotique avec une moyenne d’environ quatre évènements par million d’années. La dernière inversion s’est produite il y a 780 000 ans. Nous vivons donc sous une période relativement longue de polarité stable, qui a cependant présenté de multiples phases de croissance et de décroissance du champ magnétique.

Pour poursuivre l’analogie atmosphérique, si l’évolution de l’anomalie de l’Atlantique Sud relève de la météorologie, la prédiction des inversions relève de la climatologie, autrement dit des variations à très long terme. Ces variations sont malheureusement imprévisibles, du fait du célèbre “effet papillon” qui décrit la sensibilité aux conditions initiales d’un système chaotique. Toute erreur sur la détermination initiale de l’état du système aboutit à une erreur dans la prédiction, qui s’amplifie exponentiellement à mesure que le temps passe. Le temps de doublement de cette erreur, qui pour l’atmosphère est de l’ordre de quelques jours, est d’une trentaine d’années pour le noyau de la Terre (voir Hulot et coll. 2010, référence ci-dessous). Prédire un phénomène qui pourrait advenir dans la prochaine centaine de milliers d’années est donc tout simplement impossible, de même que l’on ne peut savoir avec certitude le temps qu’il fera l’année prochaine à la même date.

La géodynamo présente aussi des phénomènes à très court terme tels que les secousses géomagnétiques, ou changements brutaux du taux de variation du champ magnétique. Les missions spatiales de mesure telles que Swarm ont révélé plusieurs de ces secousses lors des 15 dernières années, mais les modèles numériques de la géodynamo sont encore incapables de les reproduire de manière opérationnelle, du fait de limitations dans la puissance informatique disponible. Une démarche combinant des mesures géomagnétiques de qualité, associées à la progression des simulations, devrait permettre à l’avenir de découvrir l’origine de ces phénomènes encore inexpliqués.

 

Réf :

  • C. Finlay, J. Aubert, N. Gillet: Gyre-driven decay of the geomagnetic dipole, Nature Communication, doi: 10.1038/NCOMMS10422
  • J. Aubert: Geomagnetic forecasts driven by thermal wind dynamics in the Earth’s core, Geophysical Journal International 203, 1738-1751, 2015.

 

Pour plus de perspective, on peut aussi consulter les ressources suivantes :

  • A. Fournier et coll. : An Introduction to Data Assimilation and Predictability in Geomagnetism , Space Science Reviews, 155, 247-291, 2010
  • G. Hulot, F. Lhuillier, J. Aubert: Earth’s dynamo limit of predictibility, Geophysical Research Letters 37, 2010.
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